Quand la porte se ferme
La porte s'ouvre, on rentre chez les gens. Rentrer chez eux, c'est rentrer dans leur vie.
On rentre dans la vie de ce vieil homme allongé sur son lit. Sa peau décharnée, ses grands yeux fatigués, son teint livide vous sautent au visage. On s'approche de lui pour brancher son alimentation parentérale. Il dit deux mots dans un souffle, « j'ai mal ». On essaie comme on peut de le soulager, de soulager aussi sa famille qui souffre elle-aussi à côté, en silence, impuissante face à la maladie.
On rentre dans la vie de cet enfant handicapé après une méningite. Tout a l'air normal, au premier contact mais on voit très vite que quelque chose cloche, qu'il n'est pas comme les autres. On écoute sans broncher l'histoire que racontent les parents, la maladie, l'hospitalisation, la réanimation, la mort qui rode, les séquelles.
On rentre dans la vie de cette grand mère, qui vit seule dans sa grande maison bien trop grande pour elle. Ses enfants ne viennent presque jamais la voir, pas le temps, trop occupés, le boulot, la famille à gérer, alors la mamie peut attendre.
Puis la porte se referme. Qu'est ce qu'on doit faire, là, debout sur le trottoir, avec toutes ces tranches de vie en bandoulière ? Comment rentrer le soir, chez soi, préparer le repas, sourire, embrasser ses enfants, parler avec son mari comme si de rien n'était ?
Alors, on met tout cela dans un coin de sa tête. C'est comme une petite boîte à secrets, où l'on enferme les choses qui font mal. Elles ne disparaissent pas, elles sont là, présentes en nous. Elles nous servent à avancer, à comprendre que la vie est courte, à aider comme on peut tous ces gens même une toute petite aide, un regard, une oreille attentive, un sourire, une main posée sur une épaule, une présence.