Mister grincheux
Parmi mes patients, ceux que je préfère ce sont les petits pépés. Plus ils sont grognons, plus ils sont ronchons, plus je les aime. Sans faire de psychologie de pissotière, cela doit venir du fait que j'ai très peu connu mes grands-pères alors je "compense", c'est comme cela qu'on dit. Souvent, au premier abord, ils sont plutôt glacials :
-"Bonjour, bonjour, c'est l'infirmière, je viens pour votre pansement".
-"C'est bon, entrez. Dîtes, mademoiselle, vous allez venir tous les jours comme ça."
-"Euh oui. C'est votre médecin qui nous a contactés pour soigner votre ulcère."
-"Ah, celui-là, il n'en fait toujours qu'à sa tête, je lui ai dit que ça guérirait tout seul mais il ne veut rien savoir. Il va m'entendre."
Bon, c'est pas gagné. Il va falloir la jouer fine mais des ours mal léchés, j'en ai amadoué plus d'un.
Au fil des jours, mon petit pépé est toujours un peu ronchon mais semble s'être habitué à ma visite quotidienne.
-"Tiens voilà la petite infirmière, allez dépêchons, dépêchons..."
Il n'est pas toujours motivé par le soin mais il commence à me faire confiance, je crois qu'il m'aime bien. Il me raconte un peu sa vie. Sa femme est morte il y a deux ans. Ses filles viennent le voir très souvent, elles lui apportent à manger, viennent faire son ménage mais "ça l'emmerde", c'est ce qu'il dit. Lui, ce qu'il aime, c'est rester chez lui avec son chien, faire son jardin, jouer à la belote avec les quelques copains qui restent. Quand il me raconte tout cela, il a un petit sourire malicieux. Ses yeux ridés pétillent comme ceux d'un enfant. C'est ç que j'aime chez mon petit pépé, ses yeux, son sourire, sa grosse voix et sa gentillesse qui se cache tout au fond de sa grosse carapace.