Vol au dessus d'un nid de coucou ou la psychiatrie au quotidien

Publié le par La petite infirmière

Vol au dessus d'un nid de coucou ou la psychiatrie au quotidien

La psychiatrie, votre serviteur ne l'avait connue qu'à travers quelques stages durant sa formation infirmière. Or, traiter la psychiatrie au quotidien, c'est une autre paire de manches. Les gens sont chez eux, délirants certes, mais chez eux.

Je volais donc, tel un justicier un dimanche matin au secours d'un patient qui après un appel désespéré semblait souffrir de nausées aigües voire de vomissements, vus les bruits qui sortaient de mon téléphone. Le pauvre homme tentait entre deux spasmes de m'indiquer où il habitait. Ce n'est pas toujours facile de comprendre les explications des gens (c'est souvent du style : " C'est simple, vous prenez la route, c'est tout droit puis il faut tourner après le champ de monsieur R, encore tout droit et c'est là, vous verrez il y a ma Mégane verte garée devant"; sauf que quand vous y allez, vous mettez trois plombes pour trouver et la Mégane n'est pas garée devant .Et non ! Elle est exceptionnellement au garage, dommage !). Si ces explications sont en plus entrecoupées de vomissements , là c'est carrément l'horreur.

Bref, après un bon moment, je trouve la maison. C'est une petite maison assez isolée. L'intéressé est dans le jardin. En m'approchant de lui, je me rends compte que son visage semble jeune malgré de longs cheveux blancs et une longue barbe blanche elle aussi. Son look vestimentaire est tout droit sorti d'un reportage sur le grand Nord Canadien (chemise de bucheron, pantalon épais et bottines alors que l'on est en plein été). Mon signal d'alarme se met en route . Il n'a pas l'air net-net mais ça ne veut rien dire. Le monsieur a une prescription de cinq jours de Primperan, matin et soir, et vu de près, il n'a pas plus l'air nauséeux que moi.

Nous montons donc à l'étage pour faire la fameuse intramusculaire (pour les non-initiés, la non-moins célèbre piqûre dans la fesse !). Monsieur commence à se déshabiller et fait la crêpe sur le lit ( dos, ventre ( non pas ça!!!), dos). Je lui explique, un peu affolée quand même, que l'on n'est pas obligé (et heureusement!) de se mettre nu et que l'on peut faire la piqûre debout. Ses propos sont de plus en plus incohérents : "Je connais le monde. Vous, vous êtes du bon côté et moi une partie du bon et une autre du mauvais côté". Je ne veux pas à cet instant savoir ce qu'est le mauvais côté, je n'ai qu'une envie, me sauver en courant.

Ce monsieur, au fil des rendez-vous, se livre peu à peu . Il sort d'hospitalisation avec un traitement psy qu'il ne prend plus. Sa famille est désemparée face à la situation. Il doit voir son psychiatre mais ne sait pas quand. Mes collègues et moi, nous en parlons entre nous mais personne n'est rassuré face à ce genre de cas. Une personne qui vous raconte que grâce aux piqûres, le démon va sortir de son corps, ce n'est pas rassurant; une personne qui vous dit que votre haut noir le dérange car il n'aime que la pureté des couleurs claires, ce n'est pas rassurant; une personne qui vous dit qu'il se sent prêt à affronter le monde car il est capable de monter une armée, ce n'est pas rassurant.

Même si notre vocation est de soigner l'autre, il y a des moments où l'on se sent démuni, où l'on a peur pour soi parce que soigner ce n'est pas mettre sa vie en danger.

Aucun problème n'est arrivé avec ce patient mais garder dans un petit coin de sa tête un signal d'alarme ne fait pas de nous de moins bons soignants.

La valise et le caducée ne protègent pas de tous les dangers.

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