Trente millions d'amis

Publié le par La petite infirmière

Trente millions d'amis

Dans chaque maison, lorsque je franchis le portillon, un joyeux compagnon vient à ma rencontre. Souvent il me connaît et sautille gaiement autour de moi. Parfois, nous nous rencontrons pour la première fois lui et moi. Ma venue semble provoquer chez lui une excitation difficilement contrôlable, et il se précipite vers moi, aboyant, sa truffe humide collée à mon pantalon (il est vrai qu'avant lui, j'ai croisé de nombreux amis canins qui ont laissé des odeurs qui ne laissent pas indifférent mon nouveau compagnon).

-"Faut rentrer ma p'tite dame. Elle aurait peur des chiens la p'tite dame?" me lance son heureux propriétaire.

Non, je n'ai pas peur mais lorsqu'un toutou de quarante kilos que je ne connais pas se précipite sur moi, aussi gentil soit-il, je me méfie toujours. Je me méfie aussi du petit roquet dont la maîtresse me lance un "oh, il saute un peu mais c'est pour dire bonjour". Ah non, désolée, là il ne veut pas dire bonjour, il veut juste me mâchouiller mes bas de pantalon !

Après tout, je ne saute pas au cou de mes patients la première fois que je les rencontre, alors pour leurs toutous c'est pareil. Il faut un temps pour s'apprivoiser, un peu comme le petit prince et son renard. Une fois que je suis adoptée par l'animal, pas de problème mais un minimum de prudence n'est pas de trop. Deux ou trois fois, je suis rentrée sans faire attention et deux ou trois fois j'ai poussé des "ouille" et des "aïe" quand j'ai senti un pincement sur l'arrière de ma cuisse. Il n'y a pas de mauvais chiens mais souvent de mauvais maîtres.

-"Vous ferez attention au chien quand vous rentrerez dans le jardin."

Euh, vous ne pouvez pas le tenir le temps que j'arrive ! Est-ce utile de le laisser me sauter après, surtout lorsque la nuit est encore là ? Je le comprends, ce bon toutou, une inconnue qui se pointe à la nuit tombée, une valise à la main. Après tout, qu'est-ce qui prouve que je viens pour faire une piqûre à son maître et pas pour braquer sa maison ?

N'oublions pas non plus le gentil chienchien qui se fait un malin plaisir de vous suivre en aboyant, en mordant vos enjoliveurs tout neufs et en sautant sur votre portière lorsque vous pénétrez dans le domaine de ses heureux propriétaires. Est-ce un signe d'affection dans le langage canin ? Peut-être, mais c'est une drôle de façon de souhaiter la bienvenue. Comme je disais plus haut, ce n'est pas la faute de ce pauvre chien mais plutôt de son maître qui s'étonne de m'entendre râler en sortant de ma voiture.

Les chats, eux, sont des compagnons fripons. Je ne sais pas pour quelle raison (sûrement une histoire d'odeur, ce sont peut-être des accros à l'alcool à 70° ou à la Bétadine, hum cette bonne vieille odeur d'iode!) mais ils adorent se coucher sur ma valise le temps que je fasse le soin de leur maîtresse ou venir se frotter au moment où je pique leur maître. Ah le coquin matou, toujours prêt à bondir dehors au moment où j'ouvre la porte et où son maître me lance un " vous ferez attention à ne pas faire sortir le chat". Reviens Léon, j'ai les mêmes à la maison!

À la campagne, on trouve souvent un jars dans les cours de fermes. Il est, il faut bien le dire, le meilleur des chiens de garde. Il faut voir le boucan lorsque je mets un orteil dans sa propriété (je ne tenterai pas une imitation du cri du jars en mode "garde rapprochée").

Le bouc, bon chien de garde aussi mais nettement moins sympathique. Attention, je rentre en faisant barrage avec ma valise, ouf c'est bon, il me laisse passer mais bonjour l'odeur. Ma mallette sent le bouc tout le reste de la tournée (et, comme dit l'expression "ça sent le bouc" ne veut pas dire sentir la rose !).

Les oiseaux et les poissons : très jolis à regarder mais parfois bruyants (enfin surtout les oiseaux !). Les poissons, les pauvres nagent parfois dans une eau digne du Gange après la saison des pluies. -"eh les gars, on ne voit rien, vous pensez qu'ils vont un jour nous changer l'eau ?"

Et puis, il y a les vaches et moutons que je retrouve régulièrement évadés au milieu de la route ("viens ma grande, tu as perdu tes amies", j'essaie d'attirer la vache égarée et la ramener vers son troupeau en la suivant au pas avec ma voiture mais pas facile. C'est un métier !)

Tous ces bestiaux grands ou petits ont une place à part dans la vie de leurs maîtres. Couchés dans leur panier, endormis dans leur niche, installés dans l'étable, attachés à une corde, ils sont le reflet, bon ou mauvais de leur propriétaire. On les croise tous les jours, pendant parfois de longues années. On les salue de loin, on les caresse, on connaît leur nom. Certains sont attachants, d'autres moins mais ils ont chacun leur rôle dans la maison, que ce soit pour le travail, pour garder, pour tenir compagnie et éviter la solitude. Nous avons notre rôle, nous aussi, celui de soigner leurs maîtres. Et cela se fera toujours dans de meilleures conditions si nous entretenons de bons rapports avec ces trente millions d'amis.

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