Adieu, mister grincheux
Samedi matin, alors que je suis en train de jouer avec Pâquerette aux barbie, le téléphone se met à sonner : - "qui c'est qui appelle encore ?" . Il faut préciser que c'est la troisième fois que j'interromps le mariage de Barbie et Ken pour prendre des rendez-vous de prises de sang alors que ce week-end, je suis en repos. "Désolé, Barbie et Ken, patientez encore cinq minutes pour vous passer la bague au doigt, je reviens de suite."
-"allo, la petite infirmière, c'est le fils de monsieur X, c'était pour vous prévenir que mon papa va être hospitalisé."
Monsieur X est un de mes patients chroniques chez qui j'interviens depuis un bon moment pour des pansements d'ulcères multiples. Il vit avec son fils, un grand gaillard costaud un peu rustre au premier abord mais qui s'occupe tendrement de son père. Monsieur X est, ce que j'appelle un mister grincheux, toujours bougon, jamais content. Le genre qui râle, qui souffle, qui hausse les épaules en disant des gros mots. Monsieur X n'est pas facile à soigner. Avec le temps, j'ai appris à le connaître et ne fais plus attention à sa mauvaise humeur. Derrière cette rugosité, se cache un homme gentil.
Monsieur X ne tient qu'à un fil depuis quelques semaines. Son fils qui pourtant fait de son mieux a du mal à s'en occuper. Monsieur X est de plus en plus grognon, il souffre et se ferme comme une huître. Nous sentons bien mes collègues et moi que la fin approche. Monsieur X ne veut pas aller à l'hôpital. Il dit que là-bas, c'est tous des cons, qu'on ne lui fera rien alors à quoi bon. Monsieur X veut rester chez lui avec ses chiens, sa télé et son fils parce que c'est tout cela qu'il aime.
Pourtant ce matin, monsieur X va être hospitalisé car plus rien n'est possible à domicile. Je me dis que ça va être dur pour lui d'accepter, qu'il va leur en faire baver.
Je retourne à mes barbies et à ma Pâquerette. Quelques minutes plus tard, le fils de monsieur X me rappelle en pleurs m'annonçant que son papa vient de décéder. Monsieur X s'en est allé, avec son mauvais caractère et son franc-parler. Il a tiré sa révérence avant l'hospitalisation parce qu'il ne voulait pas y aller, à l'hôpital. Monsieur X, il en a toujours fait qu'à sa tête et c'est pour cela que je l'appréciais ce mister grincheux-là.