Un grain de sable dans le coeur

Publié le par La petite infirmière

Un grain de sable dans le coeur

Elle ne mange plus depuis longtemps, du moins pratiquement rien. Son corps maigre reflète toute sa souffrance. Son regard est éteint. Elle ne sourit plus. Elle a peur de tout. C'est cela sa maladie, avoir peur. Elle craint tout changement dans sa vie. Rien ne doit être différent de la veille, aucun objet ne doit être bougé, aucun horaire ne doit changer. Son frêle équilibre repose sur cela. Pas un grain de sable ne doit venir dérégler la fragile machine. Sinon, l'angoisse surgit, implacable, détruisant tout sur son passage.

Elle passe sa journée à attendre, assise dans son fauteuil sans bouger pour ne rien froisser. Elle attend son aide-ménagère qui vient tous les mardis. Elle attend l'heure du repas (11h50, elle met sa veste et sort pour se rendre au réfectoire, pas 11h45 ni 11h55, non c'est trop tôt ou trop tard). Elle attend ma venue et prend les comprimés que je lui tends toujours dans le même ordre en mettant la même quantité d'eau dans son verre. Toujours la même quantité dans le même verre. Une existence faite de rituels.

Comment était-elle auparavant, lorsque sa vie avait un sens ? Que s'est-il passé pour qu'elle soit ainsi résignée ? J'essaie de l'interroger sur son passé, sur son état du moment. Il n'en ressort que quelques bribes puis la conversation passe immédiatement à autre chose, quelque chose de futile parce qu'il n'y a que cela qui soit supportable.

Cela fait deux ans que je me rends matin et soir chez cette patiente et rien ne change. Au contraire, sa fragilité prend le dessus. Petit à petit, la maladie gagne du terrain et nous restons mes collègues et moi les bras ballants, impuissantes et en colère de ne rien pouvoir faire à part être présentes autant que l'on peut l'être.

Parfois, nous nous heurtons à des murs indestructibles et cela est difficile à admettre. Penser que l'on n'est pas des super héros, que notre rôle est limité, que malgré toute la bonne volonté et malgré tous les efforts on ne peut pas guérir tout le monde. C'est peut-être cela aussi gagner en maturité.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article