Je vais partir...
Je vais partir, je vais quitter mon foyer. C’est ma fille qui me l’a annoncé ce matin. Elle et son frère se sont occupés de tout, c’est ce qu’elle a dit. « Tu verras maman, tu seras bien là-bas » m’a-t-elle répété. Bien où ? Je n’en sais rien. J’ai du mal à comprendre. Je suis bien là, dans mon petit chez moi. Je n’ai pas besoin d’aller voir ailleurs. Son ailleurs, je n’en veux pas. Je sais que les enfants font tout cela parce qu’ils s’inquiètent. Ils ne sont pas rassurés de me voir seule. Ils ont peur parce que j’oublie. J’oublie de sortir les poubelles, j’oublie de changer de vêtements mais surtout j’oublie de manger. Je ne veux pas que l’on décide pour moi. Je ne suis plus une enfant.
J’ai à peine le temps de me retourner. Le départ est dans trois jours. Pas le choix, m’ont-ils dit, une place s’est libérée. Il y a beaucoup de demandes, alors soit disant cela ne se refuse pas. Je ne savais même pas que j’étais inscrite sur une liste d’attente. Une liste d’attente pour finir ses jours, c’est le comble tout de même.
Je ne veux pas quitter ma maison. Je ne verrai plus mes rosiers derrière la fenêtre. Je ne donnerai plus à manger à mes oiseaux, ceux qui viennent tout près, sans avoir peur.
Ma fille m’a expliquée que la maison est adaptée pour les gens comme moi, les vieux quoi ! Il y a d’autres mémés et aussi quelques messieurs avec qui je pourrais sympathiser. Il y a, paraît-il un grand salon où l’on se retrouve pour manger et faire des activités. Je ne veux pas me faire de nouvelles amies, les miennes restent présentes dans mon cœur. Je ne veux pas manger dans ce grand salon avec tous ces gens que je ne connais pas.
Je n’ai pas le choix. Je ne veux pas leur faire de la peine. Ici, c’est loin pour eux, lorsqu’ils viennent me voir. Avec le travail, ce n’est pas facile. Ils me disent que là-bas, on sera plus près les uns des autres.
Ma fille a préparé quelques affaires. Elle a passé sa journée à ranger et trier ce que je n’emmènerai pas. Je veux prendre toute ma maison, apporter chaque parcelle de mon chez-moi. Là-bas, c’est beaucoup trop petit. Il y a juste une chambre avec une petite salle de bain. Pas de quoi entasser une vie entière de souvenirs.
Lorsque ma fille m’a annoncé la nouvelle, je n’ai rien dit, je n’ai pas pleuré. Je me doutais que ça arriverait un jour ou l’autre. Les enfants ne peuvent pas me prendre chez eux et puis de toute façon je n’en ai pas envie. Maintenant, voir toutes mes affaires réunies dans deux cartons me déchire le cœur. Voilà ce qu’est ma vie maintenant : deux boîtes fermées par du scotch.
Quand elle sera partie, je pleurerai. Pas devant elle, pour ne pas lui faire de peine. Non, juste lorsque la porte sera refermée et qu’il ne restera que le silence de cette maison que j’aime tant.
Je vais partir, je vais quitter mon foyer. Je ne mourrai pas dans ma maison. Je vais finir mes jours dans le bâtiment neuf que j’ai vu sur le dépliant, dans cette petite chambre propre et lumineuse que ma fille m’a décrite. Tout cela sans l’avoir décidé.
Je vais partir, je vais quitter mon foyer. J’ai une place en maison de retraite.