Une vie devant l'écran
Il habite seul dans une petite maison. Ce n’est pas un endroit isolé mais les voisins ne viennent pas lui rendre visite. Il ne sort pas, ne voit personne ou presque. Sa seule compagnie est sa télévision qui tourne en boucle. Il la regarde du matin jusqu’au soir, principalement du sport parce qu’il aime cela. Il vit sa vie à travers le petit écran.
Sa vraie vie, il l’a vécu avant, lorsqu’il avait sa femme et ses jambes valides pour le porter, lorsqu’il travaillait et voyait du monde, lorsque ses enfants étaient petits. Maintenant que tout cela s’en est allé, il survit devant son écran. Il ne semble pas triste. Il est résigné et se fait à l’idée que sa vie, la vraie est derrière lui.
Maintenant, il absorbe devant son écran des kilomètres de courses de vélos, des heures de matchs, des tours de piste, des sauts d’obstacles, des parties de ping-pong. Tout ce qui se rapporte au sport. Lui, qui peut à peine se déplacer, se nourrit des mouvements de tous ces champions.
Les sujets de conversation sont essentiellement sportifs, rien sur sa vraie vie, à quoi bon. Il discute du dernier match de rugby ou du tour de France. Il raconte cela comme si il y assistait en direct, comme si l’écran n’existait plus, comme si il se retrouvait dans les tribunes, avec des gens qu’il aime et une bière à la main.
Sa télévision, c’est sa bouffée d’oxygène, une béquille qui l’empêche de sombrer. Sans elle, la vie s’éteint de la même façon que l'on appuie sur le bouton off de la télécommande. Sans elle, il n’a plus rien à dire, plus rien à faire. Les yeux rougis, fixés devant l’écran, il a l’impression d’être encore là. Il donne en regardant tous ces programmes, un sens à sa vie.
En se levant le matin, il sait qu’il va défendre les couleurs de son équipe de basket favorite, qu’il va voir de beaux paysages en regardant le tour de France, qu’il va découvrir des sports qu’il ne connaît pas, qu’il va encourager l’équipe de France de foot, qu’il va vibrer au rythme des joueurs de rugby. C’est cela, qu’il aime dans le sport : vibrer, supporter, trembler et surtout s’évader. Passer sa vie devant un écran, c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour soulager le poids bien trop lourd de son existence.