Les petites manies...
Depuis la nuit des temps, elles ont la dent dure et résistent aux époques, aux lieux d’habitation et aux climats. Chez certains, elles sont bien planquées sous des couches de sourires forcés mais chez d’autres, on les remarque au premier coup d’œil, dès que notre pied se pose dans une nouvelle maison. Elles, ce sont les petites manies et elles sont là pour nous pourrir la vie. Heureusement, après plusieurs visites, on arrive à les contrôler (voire à les faire disparaître chez les plus persévérants !).
Elles sont le cauchemar des remplaçants qui n’ont souvent pas droit à l’erreur : « Vos collègues, elles ont l’habitude. Elles ne vous ont pas mis au courant ? »
Là, deux choix s’offrent à notre chère remplaçante : soit effectivement elle a été mise au courant (mais vu le flot d’informations ingurgitées, a un peu zappé qu’il fallait s’essuyer les mains avec le torchon rouge et pas le vert !), soit elle n’a pas été mise au parfum et là, je ne dirai qu’un mot : pas cool du tout (il y a des garces chez les infirmières, eh oui, m’dame !). Parce que mine de rien, ce sont sur les petits détails que les patients se font leur avis : « elle est bien votre remplaçante mais elle n’a pas l’habitude comme vous ! ». Cela ne s’invente pas voilà tout. C’est comme partout, il faut un temps pour s’y faire. On ne peut pas en deux coups de cuillère à pot se souvenir de tous les détails. Alors, un peu de tolérance, cela ne fait pas de mal ! Heureusement, après une période d’adaptation, on arrive facilement à dompter ces marottes. Mais, attention à bien rester concentré, un moment de rêverie et c’est le drame !
Voilà quelques exemples de rituels que l’on peut trouver dans les maisons :
-Mettre les déchets dans le petit bol sur la table et utiliser la savonnette bleue pour se laver les mains, surtout pas la rose. On ne sait jamais, elle pourrait nous sauter dessus !
-Poser sur une chaise à coté du lit, le mouchoir et la lampe de poche au moment du coucher. Le mouchoir à droite et la lampe à gauche.
-Ne pas frapper avant d’entrer et laisser la porte entrouverte (c’est pour le gros matou qui passe sa journée à faire des allers-retours entre le jardin et le canapé).
-Passer par la véranda et non la porte d’entrée, allez savoir pourquoi !
-Poser ses chaussures et mettre les patins qui sont bien alignés à l’entrée. Si, si c’est véridique alors attention à bien choisir ses chaussettes le matin, pas de trouées ou dépareillées, ça craint du boudin !
-Dans une maison, laver le visage avec « le savon spécial visage » et dans la suivante ne rincer qu’à l’eau claire. Attention, à ne pas se mélanger les pinceaux !
Ce n’est qu’un petit échantillon des manies que l’on peut rencontrer au domicile de nos patients. Le panel est large, très, très large. Il est vrai que les personnes sont chez eux. Nous restons malgré les liens, une pièce rapportée qui doit s’adapter à chaque environnement. À chaque maison, ses habitudes de vie et ses manies potentielles, différentes évidemment du voisin.
Malgré tout, lorsque je bouillonne, lorsque la lassitude de la journée devient pesante, je mettrai bien un coup de pied dans tous ces rituels idiots, histoire de bouger un peu les choses : j’utiliserai la savonnette rose, j’oublierai de mettre la lampe de poche à côté du lit, je fermerai la porte et ne mettrai pas les patins. Je secouerai ainsi toutes ces habitudes auxquelles on accorde beaucoup, beaucoup trop d’importance et qui interfèrent très souvent sur les soins.
Pourtant, je ne le fais pas. Peut-être pour ne pas compliquer les choses. Peut-être parce que les gens sont chez eux et qu’à domicile, on n’appréhende par le soin comme à l’hôpital. Peut-être parce que accepter toutes ces manies, c’est une façon d’accepter les différences de chacun. Parce que personne n’est pareil et c’est tant mieux.