Le zappe de l'infirmière
-« Oui, bonjour la petite infirmière, c’est madame Bip. Je voulais savoir si vous alliez venir car il est tard et je m’inquiète. Rappelez-moi s’il vous plaît… »
En écoutant le message de madame Bip, mon sang ne fait qu’un tour. Gloups, je regarde, affolée, mon agenda, la liste posée bien en évidence sur mon tableau de bord puis de nouveau mon agenda, puis ma liste. Re-gloups, aucune madame Bip n’est inscrite. Je zieute furtivement la page de la veille et lis, en bas de la page : « madame Bip, pansement n°1 » (c’est là que je note les nouveaux patients). Nom de Zeus, madame Bip m’est sortie de la tête, zappée, oubliée, squeezée d’hier à aujourd’hui. Le pire, c’est que ce matin, je suis passée une bonne dizaine de fois près de chez elle et qu’à aucun moment, je n’y ai pensé. Je doute un instant de ma santé mentale. Serais-je pris d’une « oubliite aigue » ? Non, je ne pense pas, juste une surchauffe du ciboulot parce qu'en ce moment, la tournée prend des airs de champ de bataille. Il faut suivre le rythme effréné des visites, entrecoupées d’appels téléphoniques pour les futurs rendez-vous. Je suis une warrior doublée d’une secrétaire ! Seulement voilà, on dirait bien que la warrior a un petit coup de mou (et la secrétaire aussi d’ailleurs). Et là, au lieu de téléphoner de suite à madame Bip, je prends cinq bonnes minutes pour retrouver mes esprits. Que vais-je bien lui dire pour ne pas passer pour la dernière des andouilles ? En sachant, que ça la fout mal, d’être oubliée dès la deuxième visite. Cela vaut bien, pour certains un « bon, ben, si j’appelais un autre cabinet qui lui, a une mémoire en bon état de marche ! ». Vais-je jouer la carte 100% honnête et lui avouer que la tournée étant très chargée, je n’y ai plus pensé ou vais-je sortir la carte Joker (« je suis très en retard » ou « j’ai eu une urgence ») ?
En attendant, je rappelle madame Bip en lui disant que je serai chez elle dans cinq minutes !
Le trajet me paraît durer des heures, je sens une petite boule, là, au creux de ma gorge. Je sonne à la porte, advienne que pourra ! Madame Bip vient ouvrir, c’est le moment de vérité. Je me lance, sans réfléchir parce que dans ce cas-là, la spontanéité est la meilleure des alliées : -« Désolé, la tournée est très chargée, je suis en retard et dans le feu de l’action, je n’ai plus pensé à venir, excusez-moi… »
Voilà, c’est dit, je ne me sens pas très fière mais soulagée. Et puis, personne n’est parfait. C’est parce qu’on est vivant que l’on se trompe ou que l’on fait des erreurs. Madame Bip, semble du même avis que moi car elle me lance un « ça arrive à tout le monde » qui réchauffe mon p’tit cœur d’infirmière.
Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que cela se produit. Notre boulot est difficile, intense. Le rythme soutenu entraîne souvent ce genre de désagrément. Cela ne fait plaisir à personne, ni à l’infirmière, ni au patient mais ça arrive. C’est sûr, que cela se passe mieux lorsque l’on a affaire à une madame Bip (et ce n’est pas toujours le cas).
Les aléas de la tournée font que celle-ci n’est pas un chemin tout tracé. Non, dans la réalité, le chemin est tortueux et nous le suivons comme nous pouvons, avec nos tripes et nos doutes. Alors, oublier, se tromper fait partie de notre métier. Et, je ne dis pas cela pour me trouver des excuses (là, vous ne voyez pas mais je viens de faire un clin d’œil complice) !