L'espace d'un instant...oublier....
Je franchis le petit portillon. La maison se dresse devant moi. Allez, un pas en avant et j’entrerai. Un pas en avant si difficile à faire. Un pas qui pèse une tonne parce que derrière cette porte, la vie s’enfuit à toute allure. Je frappe et franchis le seuil. Je prends mon courage à deux mains et lance un bonjour enjoué. La dame est allongée sur le canapé et m’accueille d’un grand sourire. Un sourire qui mange son visage fatigué. Ses grands yeux plongent dans les miens et je vois tout de suite que ce n’est pas la grande forme aujourd’hui. « Un peu crevée ce matin » me lance-t-elle, « j’ai mal dormi. Oh, c’est rien, je crois que j’ai attrapé un coup de froid ». Je la regarde et mon cœur se serre. Je sais bien que le coup de froid n’en est pas un, que c’est le crabe qui prend toute la place et cela me fend le cœur. Elle le sait peut-être mais ne le montre pas. C’est son choix. Alors, nous parlons de tout et de rien, un mélange de futile et d’agréable pour oublier pendant quelques secondes la maladie. Juste quelques secondes parce que penser à autre chose, c’est aussi soulager.
Puis la maladie reprend le dessus, elle s’interpose dans notre conversation sous la forme d’une douleur lancinante. Le visage se creuse davantage, les muscles se tendent, le regard se trouble et la souffrance réapparaît, comme une vague emportant tout sur son passage. Je la regarde s’éteindre à petit feu, sans savoir trop quoi faire. Je ne peux pas, on ne peut pas lui dire si elle ne le désire pas. Lui dire que tout cela ne sent pas bien bon et que l’avenir ne sera, sans doute pas tout rose.
Je réalise alors, que le petit portillon sera, au fil de la maladie de plus en plus dur à franchir. Je le ferai pour elle, pour son mari qui tient la barre tant bien que mal mais je redoute l’instant où, dans mon regard, elle percevra que la partie est peut-être perdue.
Je franchis le petit portillon et pars le cœur lourd, continuer ma tournée. Demain, je sourirai de nouveau en arrivant, on discutera de tout et de rien, un mélange de futile et d’agréable juste pour lui faire oublier quelques instants le mal qui la ronge. Même si cela ne dure qu’une seconde, une seconde de tranquillité. On ne parlera pas de la maladie parce que c’est son choix. On ne fera pas non plus comme si tout allait bien parce que c'est loin d'être le cas. Elle essaiera, l'espace d'un instant d'oublier. Oublier sa vie qui depuis quelques semaines ressemble à un mauvais rêve, oublier l'espace d'un instant que plus rien ne sera comme avant...