Mon équipe de bras pas cassés...
Lorsque j’ai commencé en libéral, la première chose à laquelle j’ai pensé (hormis le langage bizarroïde que j’allais devoir intégrer : AMI, AIS quèsaco ?) c’était que j’allais devoir travailler seule. Je devrais désormais arpenter seule les routes isolées, effectuer parfois des soins complexes, me heurter à certains patients difficiles sans mon binôme. Et dès les premiers instants, cela m’a manqué. Toutes ces années à travailler à deux voire à trois, c’était terminé. Bien sûr, c’est seulement lorsque les choses disparaissent, que l’on se rend compte de l’importance qu’elles avaient. Durant ma carrière hospitalière, je ne me suis jamais interrogée sur le fait de travailler en équipe. On était une équipe, point final.
En libéral, c’est autre chose. Nous n’allons presque jamais à deux chez un patient. Nous rencontrons parfois d’autres professionnelles (aides-soignants, auxiliaires de vie) mais pas de binôme à part entière.
Et pourtant, au fil des jours, la solitude que je redoutais tant, à commencer à s’estomper. J’allais et venais seule mais je m’habituais. Je m’habituais à la solitude de ma voiture, au mauvais temps, aux journées parfois galères. Je m’habituais à travailler en solo mais pas en solitaire.
Je n’étais pas une infirmière solitaire pour la simple et bonne raison que nous étions (et nous sommes toujours, heureusement) plusieurs infirmières dans mon cabinet. Alors, oui, on peut parler de solitude mais de solitude partagée. Nous ne travaillons pas ensemble pendant la tournée mais nous travaillons ensemble au quotidien. Nous partageons les galères, les bons moments, un peu comme un couple, qui, le soir se retrouve pour se raconter sa journée. Nous évacuons le trop-plein à la terrasse d’un p’tit resto lorsque tout le monde a fini la matinée. Nous nous croisons sur la route à grands coups de klaxon. Nous usons et abusons de nos portables. Parfois, ça râle, ça ronchonne. Il y a des jours plus difficiles. Parce que c’est cela aussi travailler en équipe : c’est prendre sur soi, faire des concessions pour que l’autre se sente bien. Faire que le cabinet tourne et que tous les protagonistes tournent dans le même sens.
Alors, maintenant, après dix ans, lorsque l’on me demande si ce n’est pas trop dur de travailler en solo, je réponds que je ne suis pas vraiment seule. Non, j’ai une équipe avec moi. On s’appelle souvent, on se voit peu mais c’est mon équipe. Je sais que j’ai de la chance car pour l’instant tout se passe bien. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Alors, voilà, ce petit article écrit sur le coin d’une table pour faire une spéciale dédicace à mon équipe de "bras pas cassés" et principalement à ma petite Belge qui a décidé de retrouver son plat pays. Tu vas me manquer….