Une journée presque comme les autres...
La journée avait pourtant bien commencé. Je m’étais levée sans difficultés après une courte nuit de sommeil (hé oui, je suis de celle qui le soir s’exclame : « Naaan, suis pas fatiguée ! Vais veiller encore un tout petit peu »). J’étais partie plutôt à l’heure (même si l’heure était proche du milieu de la nuit !) et plutôt de bonne humeur. La tournée avait démarré sur les chapeaux de roue. Je virevoltais de maison en maison aussi efficacement qu’un Père Noël survolté. Il y a eu ce monsieur, puis cette dame puis encore une autre dame, puis un autre monsieur et encore un autre. Vers huit heures, comme tous les matins, j’arrivais devant le petit chemin. Je garais ma voiture et effectuais à pied les quelques mètres qui me séparaient de la maison où vivait un Mister Grincheux. Tous les matins, depuis plusieurs années, il attendait sa piqûre d’insuline en bougonnant parce qu’il voulait boire son café mais lorsque j’entrais, son traditionnel : « ah, voilà la petite infirmière ! » et ses yeux pétillants me faisaient oublier sa mauvaise humeur. Mister Grincheux était un grincheux au cœur tendre aussi râleur qu’attachant.
Comme chaque jour, je frappais à la porte et tournais la poignée. La porte semblait verrouillée : « tiens, bizarre… D’habitude, elle est toujours ouverte ». Je frappais une nouvelle fois plus fort, l’appelais : rien, aucune réponse. En regardant par la fenêtre de la chambre, j’entrevis une silhouette étendue par terre. J’appelai immédiatement les pompiers qui en « deux temps, trois mouvements » ouvrirent la porte. Mister Grincheux était étendu à côté de son lit et il ne fallut pas longtemps pour réaliser que toute trace de vie avait disparu. La mort l’avait saisi comme ça, au milieu de la nuit et je réalisais tout à coup qu’il n’y aurait plus de descente du petit chemin, ni de Mister Grincheux bougonnant au matin. Je remontai jusqu’à ma voiture. Les autres patients m’attendaient. Je n’avais pas le cœur à sourire ni à reprendre la tournée. J’avais juste envie de rentrer me pelotonner sous ma couette pour ne plus voir cette journée. Pourtant, je suis repartie. J’ai affronté la tournée comme on monte sur un ring parce que perdre un patient, comme ça au petit matin, cela n’est jamais facile. J’ai mis mon masque, celui que je réserve aux mauvais jours lorsque la peine prend le dessus sur le reste et j’ai continué à sourire juste le temps que cette journée presque comme les autres se termine.