Welcome to the Hotel California...
Ce soir-là, je roule à travers la campagne, la tournée est longue. La fatigue commence à se faire sentir, l’agacement aussi. J’ai hâte de rentrer, de me pelotonner au chaud dans ma maison. J’ai envie de tout sauf d’être ici, dans ma voiture. Cela arrive parfois, lorsque la motivation se fait la malle. À la radio, les chansons se succèdent, j’écoute mollement en fredonnant des airs familiers. Soudain, une vieille chanson me vient aux oreilles : Hôtel California, des Eagles. Les souvenirs se bousculent dans ma tête ! Hôtel California est une de mes « chansons-repères », une de celles qui me renvoie instantanément à une période précise de ma vie. Je ne suis plus dans ma voiture mais dans le petit café attenant à mon lycée, accoudée au bar, entourée de mes vieux copains. On boit des coups après les cours, au rythme de la musique. On discute de tout et de rien, de ce que l’on aime, de ce que l’on déteste, de ce que l’on rêve de faire et que l’on est certain de faire un jour. Je revois chaque détail comme si j’étais assise avec eux. Ma gorge se serre, le temps est passé si vite. Je me retrouve de nouveau dans ma voiture, finissant la tournée d’un soir pluvieux et je me dis qu’à l’époque du petit bar, je n’aurais jamais pensé me retrouver là, arpentant les chemins de campagne. Je ne rappelle plus vraiment quel métier je rêvais de faire à l’époque mais infirmière, je n’y pensais pas. Si j’étais restée exactement comme celle que j’étais dans ce petit bar, comme une photo figée au polaroïd, j’aurais sans doute fait autre chose mais les hasards de la vie en ont décidé autrement. Les hasards mais aussi les obstacles, ceux qui font que l’existence n’est pas une longue ligne droite. Dans ma voiture, dans le froid de cette morne soirée, je réalise qu’un enchaînement de circonstances m’a fait me retrouver là où je suis aujourd’hui. Si à un moment donné, j’avais fait un pas à droite, au lieu d’à gauche (ou l’inverse), je ne serais peut-être pas là. Je me trouverais sans doute à un tout autre endroit que sur ces chemins. J’aurais peut-être choisi une autre voie. Une voie différente, pas forcément meilleure ni moins bien mais différente. Dans la solitude de ma voiture, en écoutant Hôtel California, mon cœur semble plus lourd. Pas lourd du poids des regrets, ceux qui laissent un goût amer dans la bouche. Non, juste une sorte de nostalgie parce que les années ont filé à la vitesse de la lumière et que le temps qui passe n’annonce rien de bon. En fredonnant les dernières notes de ma chanson-repère, je souris parce que finalement malgré les hauts et les bas, je suis fière du chemin parcouru.