Le retour du côté obscur
Je suis rentrée dans cette maison. Cela faisait plusieurs mois que je n’y étais pas allée. Le coup de fil d’hier soir semblait urgent. Dans le salon, elle était déjà installée. J'ai vu au premier coup d’œil que cela n'allait pas fort. Le teint était pâle, les yeux fatigués. Elle me montra son ordonnance d’un geste de la main : une prise de sang complète, bien trop complète. Je me suis assise en face d’elle pour lire l'ordonnance, j'ai sorti les tubes au fur et à mesure : NF, VS, IONO, CA125, CEA... Tube rouge, tube vert, tube gris, toute une palette de couleurs au centre de la table. Son regard a croisé le mien. Elle a murmuré d’une voix à peine audible :
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Le médecin veut faire d’autres examens mais moi, je sais bien qu’il est de retour.
J'ai deviné immédiatement de qui elle parlait et ce n'était le genre d'invité que l'on attend en trépignant d'impatience. Elle parlait de celui qui lui avait déjà enlevé un sein, elle parlait de son cancer. Il s’était fait la malle pendant quelques mois puis était revenu insidieusement sur la pointe des pieds. Elle le craignait, elle y songeait comme un cauchemar qui venait la réveiller au beau milieu de la nuit, elle espérait ne jamais plus le revoir. Elle y avait pensé tous les jours les premiers temps puis un peu moins souvent puis presque plus du tout parce que les mois étaient passés et que la partie semblait gagner. Puis, il y avait eu ce jour, où la fatigue était revenue. Elle mettait cela sur le compte du travail qui avait repris depuis de longues semaines, sur les nuits inlassablement trop courtes mais la fatigue avait continué toujours plus importante alors il avait fallu se rendre à l’évidence et se dire que ce n’était pas normal d’être continuellement épuisée. Au fond d’elle-même, elle devait savoir que tout cela ne sentait pas bon mais il fallait faire face et prendre la décision de consulter.
Je lui ai dit qu’elle aurait les résultats rapidement et que son médecin aussi. Qu’est-ce que j’aurais pu dire d’autres. Lui dire que j’étais désolée pour elle ? Que tout cela était injuste ?
Elle le savait de toute façon. Elle savait qu’elle devrait affronter de nouveau la maladie, les traitements, la fatigue et c’était sans doute cela qui la terrifiait : revivre une deuxième fois le long chemin des soins. Alors, je lui ai simplement dit que si elle avait besoin, elle n'hésite pas à nous appeler.
En sortant, je sentis le froid vif de l'hiver. Je cherchais les clés dans ma poche puis suis repartie. Repartie le cœur plus lourd. Ce satané crabe avait encore frappé, au même endroit, encore et encore...