Le coeur entre deux chaises...

Publié le par La petite infirmière

Le coeur entre deux chaises...

-« Bon, je ne vous dis pas à bientôt ! » lui dis-je en souriant.

 Plusieurs mois, que je viens chez elle pour soigner une méchante plaie. Plusieurs mois que je franchis son portail et sonne à la porte. Plusieurs mois de discussions, les pinces à la main. L’hiver puis le printemps et enfin l’été se sont succédés, la plaie, elle, a perduré. C’est qu’elle était coriace, la bougresse !

 

Après des kilomètres de bandes posées, des tonnes de compresses utilisées, des centaines de lavages et de « désinfectages » , la plaie a laissé place à une peau toute neuve. Les soins sont terminés et je suis chez elle pour la dernière fois. Bien sûr, je reviendrai mais ce ne sera pas pareil. Aujourd’hui, le « mal » a été vaincu (« mon mal est guéri », c’est ce qu’elle me dit) et je ressens un mélange de fierté et de nostalgie. Fierté, parce que venir à bout d’une vilaine plaie, c’est un peu comme vaincre un dragon en étant simplement armé d’une épée en bois ! Nostalgie, parce que venir chez elle, chaque jour faisait parti de mon quotidien, comme un truc habituel et rassurant, une parenthèse dans un nid douillet. Parce qu’elle va me manquer mine de rien. Quoi de plus normal que de terminer, et pourtant, cela est parfois difficile d’avoir le cœur entre deux chaises ! Elle rit en me disant qu’elle préfère me croiser dans le village, que chez elle mais murmure que si j’ai un petit moment, je peux passer prendre un café !

Elle aussi a peut-être  le cœur entre deux chaises. Plusieurs mois de visites quotidiennes, ça n’est pas rien. Plusieurs mois à voir ma trogne et celle de mes collègues, ça fait un peu d’animation dans la journée. La dame est du genre sociable, elle aime discuter le bout de gras. Son mari étant parti de l’autre côté depuis pas mal d’années, elle est seule la plupart du temps alors la visite de l’infirmière, c’est un petit rayon de soleil dans la journée. C’est sûr que la guérison de sa jambe, c’est la fin du tunnel  mais de l’autre côté, il n’y a plus personne.

 

Je lui souris en lui promettant de venir de temps en temps. Je sais malgré tout, que je n’aurais certainement pas le temps de faire une halte chez elle au milieu de la tournée. C'est souvent cela, le tourbillon de la vie.

Je pense alors à cette visite quotidienne qui se termine et au trou sur mon agenda. Je vois son nom inscrit qui s’efface et j’imagine alors d’autres noms qui s’effacent. C’est bien là,  le dilemme du libéral : avoir le cœur entre deux chaises, être satisfait du travail accompli tout en craignant pour son avenir.

Travailler pour soigner et soigner pour travailler.

 

Je m’éloigne de la maison. La dame me lance des grands au revoir sur le pas de la porte comme on salue un marin qui part en mer. Je l’imagine un mouchoir à la main et cela me fais sourire. Je lui fais un signe et klaxonne en montant dans ma voiture. Je m’en vais vers d’autres aventures car celle-ci est maintenant terminée. Je m’en vais le cœur entre deux chaises, tantôt lourd, tantôt léger avec tout de même un sourire au coin des lèvres. Vous savez, ce sourire que l’on a lorsque l’on a accompli quelque chose de bien…

 

 

 

 

 

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F
vous avez trouvé les mots pour exprimer ce sentiment, c'est vrai que c'est parfois difficile de terminer des soins chez des patients que l'on apprécie.
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