L'être et le paraître...

Publié le par La petite infirmière

Colin Firth et son iconique pull de Noël dans Bridget Jones...

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Au départ, il y a le paraître. Le truc que l'on voit lorsque l'on rencontre quelqu'un pour la première fois. Le truc qui nous fait dire : lui, il est comme-ci ; elle, elle est comme ça. Le truc qui nous fait avoir des jugements de valeur avant même de connaître réellement la personne que l'on a en face de soi. 
 
Et puis, il y a l'être, celui que l'on découvre petit à petit ou parfois d'un seul coup. Paf, on se rend compte en un instant que l'on s'est trompé. L'être humain, pareil à un oignon, est fait de multiples couches. Il y a la première couche, plus dure qui se voit et il y a l'intérieur souvent plus tendre et moins visible. Parfois on n'imagine pas l'intérieur comme ça, rapport au physique de la personne en face de nous. C'est ce qui fait le charme, ne pas vraiment savoir où l'on met les pieds.
 
Je me rends ce matin dans cette ferme au bout du chemin. Une ferme bien entretenue, avec des fleurs dans des jardinières et des gravillons dans l'allée. J'y suis venue à plusieurs reprises depuis une dizaine d'années.
Le couple est d'un certain âge. La femme dégage une sorte d'autorité naturelle. C'est elle qui tient la culotte comme on dit. L'homme est plus en retrait. Un monsieur rondouillard avec une chemise à carreaux et une salopette de travail. Il ne paye pas de mine en apparence. Il est plutôt jovial et sympathique mais au premier abord, on ne s'attarde pas sur lui.
 
C'est pour lui, que je viens ce matin-là. Un bilan sanguin demandé par le médecin. Il est seul dans la maison. Nous discutons gaiement pendant que je le pique. Je ne sais plus vraiment ce qui nous a mené à parler de l'Algérie mais nous en sommes venus là. Le monsieur m'apprend qu'il était en première ligne plutôt gradé, membre d'un commando. J'ai du mal à l'imaginer. Je suis surprise. Il raconte les combats, les morts et tout ce qu'il a vu. Je l'écoute sans l'entendre vraiment mais surtout je le regarde. Je regarde sa carapace d'homme un peu effacé craquelant sous le poids de l'histoire, de son histoire. Je regarde l'homme qui est devant moi avec son vécu en bandoulière. Je regarde ses larmes au coin des yeux parce que même après toutes ses années, raconter est toujours difficile. Je le vois différemment. Il n'est plus seulement le petit monsieur rondouillard sur lequel on ne s'attarde pas. Il est bien autre chose. 
Je le quitte le coeur léger malgré le poids du récit et les yeux humides. J'ai envie de le prendre dans mes bras et de le remercier. Le remercier de m'avoir montré à nouveau que derrière la première couche, il y a parfois un être totalement différent. Le remercier parce que c'est cette complexité qui me fait avancer et aimer mon métier, parce qu'au hasard de ces rencontres, on peut être encore étonné, bouleversé et abasourdi. Le remercier pour cette piqûre de rappel qui me fait réaliser qu'il y a encore des gens pour lesquels l'être et le paraître sont deux choses bien distinctes. C'est peut-être un peu cela, toucher du bout des doigts la complexité humaine.
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