Comment ça va ?
-Alors le boulot comment ça va ?
-Et toi ça va ?
Entre le dessert et le café, en famille, entre amis, entre deux portes, on a tous entendu ces questions. Quoi répondre d’autre que « ça va », « on fait aller » ou bien « oh tu sais, comme d’hab ». On reste vague la plupart du temps, comme une photo flou qui sort d’un Polaroïd, comme on ponctue de trois points de suspension. Après cela : rien. On passe à autre chose, à une autre question « tu as vu le dernier Nolan ? », « t’es d’accord, les prix au supermarché c’est un truc de dingue ! » , « vous partez les prochaines vacances ? ». On reprend le cours de la vie, on ne prend pas le temps. Il faut avancer. Rester focus. Tout le monde le fait, moi la première. Je rentre dans une maison au petit matin et la question que je pose en franchissant le pas de la porte c’est « comment ça va ce matin ? ». À 6h du mat’ en plein brouillard est-ce que la personne en face de moi va me dire « Non aujourd’hui ça ne va pas du tout ni hier d’ailleurs » et vider son sac sur le palier et est-ce que je serais disposée à recevoir cette réponse à une heure aussi matinale (où moi aussi je suis dans le brouillard) et au moment où il ne faut pas prendre de retard car une longue journée m’attend ?
L’autre jour j’ai croisé une connaissance entre le rayon yaourts et fromages qui m’a demandé « et toi ton boulot, ça roule ? ». J’ai failli lui répondre que « oui dans l’ensemble ça roule mais que voir ce monsieur se dégrader de jour en jour parce que le crabe démolit tout sur son passage ce n’est pas facile, que la misère sort son plus beau manteau pendant les fêtes de Noël, que faire la tournée l’hiver c’est parfois rude surtout la nuit, que la paperasse du soir m’angoisse parfois autant que mon pire cauchemar (me réveiller en pleine nuit recouverte d’insectes qui sortent par tous les trous de mon corps !!!), que parfois j’aimerais être n’importe où ailleurs que sur les routes… » . Pourtant je réponds « oui ça va » avec un grand sourire. Que celui qui ne le fait pas me jette le premier fromage de chèvre du rayon en pleine tronche ! Par pudeur, timidité ou manque de temps, on ne s’étale pas. On garde notre fierté, pas question de montrer la moindre faiblesse alors qu’il serait si simple de s’ouvrir un peu et de se rappeler que « comment ça va ? » n’est pas une question aussi anodine que « t’as acheté du beurre ce matin ? »