Et la tendresse, bordel !
"Frottez plus fort ! ", "suis pas bien essuyée", "vous allez trop vite ! ", "c’est trop chaud ! ", "ah ben maintenant c’est trop froid ", "aïe, vous me faites mal ! "…J’en passe et des meilleurs. Toutes ces petites phrases lancées au gré de la toilette, m'éclaboussent en pleine tronche, malgré l’habitude.
Pourtant, ce n’est pas faute de lui avoir dit plusieurs fois. Rien n’y fait, la dame continue désespérément à être désagréable. C’est sa marque de fabrique, elle est comme ça, avec tout le monde, tout le temps, son aide-ménagère en passant par son médecin et ses infirmières bien sûr. Elle a probablement toujours été comme ça. On ne lui a certainement pas appris la politesse. Il y a, bien sûr, les douleurs, les mauvais coups de la vie, la jeunesse qui est loin déjà mais quand même. Un "merci" (même timide), un "s’il vous plaît", un "vous pourriez peut-être…", cela n’a jamais écorché la bouche. Pourtant, l’absence de ces mots simples m’écorche le cœur. Parfois, cela glisse sur moi et parfois non. Cela dépend des jours et aussi de la tournure que prend la matinée. J’avoue : mon curseur "tolérance" est toujours plus haut lorsque la tournée ressemble à une plage paradisiaque ! Et puis, "ça + ça +ça" fait que parfois, le "frottez plus fort ! " me donne envie d’exploser !
Ce matin-là, lorsque la dame est sous la douche, les ordres fusent comme un feu d’artifice. J’ai à peine le temps de dire "ouf" qu’un nouvel ordre de la commandante-chef fait son entrée ! Je lui réponds gentiment mais fermement qu’il faut être plus patiente. Mais rien n’y fait, elle a dû se lever du mauvais pied, je le vois à sa mine renfrognée. Alors, malgré les kilos de bouddha avalés avant d’arriver, la méthode Coué "je vais bien, tout va bien. Je suis gaie, tout me plaît…" répétée mentalement pendant le soin, je sens la moutarde me monter au nez. Je pose le gant sur le bord du lavabo, la regarde droit dans les yeux et vide mon sac. Je lui explique qu’elle doit nous respecter, que c’est la base pour être respecté à son tour ; qu’un minimum de politesse, ça n’a jamais fait de mal à personne et surtout que même si nous sommes là pour l’aider, nous ne sommes certainement pas là pour subir ses griefs ! Ses yeux s’arrondissent au fur et à mesure, ses lèvres tremblent. Je sens une tempête, que dis-je, une tornade m’arriver en pleine poire mais non, rien. Elle se contente d’un "mouais... Bon, on peut finir la toilette ?" encore plus désespérant que le plus énorme tsunami verbal de la terre et de l’univers ! Que dire, à part ne rien dire parce qu’à certains moments, parler ne sert à rien. Il faut juste prendre du recul, balayer tout cela d’un revers de main et continuer son chemin…