Dans mon métier d'infirmière, je ne suis pas parfaite. Je doute. Je me trompe parfois. Je parle trop vite. J'ai de temps en temps l'impression de ne pas y arriver. Je suis un poil bordélique. Bref, je suis un être imparfait dans un monde imparfait. Pourtant, il existe une catégorie d'infirmière que nous avons tous rencontré pendant notre vie professionnelle : l'infirmière parfaite.
L'infirmière parfaite a toujours raison. Elle connaît le nom et la posologie de chaque médicament. Elle sait ce qu'il faut faire au premier coup d'œil. Elle a toujours dans sa manche, la bonne phrase et le bon geste qu'elle sort au moment propice . Elle est toujours à l'heure et jamais en retard. Elle en fait toujours un chouïa plus que les autres. Elle est tellement parfaite que même lorsqu'elle a tort, elle fait en sorte de retourner la situation à son avantage (c'est la faute à la météo, au médecin ou à sa collègue).
Pour rester "parfaite", notre infirmière doit s'imposer un régime draconien :
- manger des carottes pour être aimable en toutes circonstances parce que l'infirmière parfaite ne s'énerve jamais. Elle est au-dessus de ça.
- travailler sa diction : une infirmière parfaite ne bafouille pas. Elle utilise toujours un ton assuré, genre "JE sais ce que je dis".
- étudier, étudier, étudier pour que rien ne soit laissé au hasard. Le hasard, c'est l'ennemi de l'infirmière parfaite.
- se tenir droit, la tête haute, le regard haut lui aussi pour observer les autres un cran au-dessus.
- utiliser toute l'énergie disponible pour faire perdurer le mirage de la perfection. C'est une marathonienne, notre infirmière parfaite !
Seulement voilà, pour l'infirmière parfaite, la perfection ne peut être partagée. Il n'y a qu'elle et elle seule qui fait bien. Finalement, l'infirmière parfaite se renferme dans sa perfection, persuadée que nul n'est à sa hauteur. Elle finit par s'isoler, par être évitée, ses congénères étant lassés par tant de mépris. Et lorsque l'infirmière parfaite finit par faire un faux-pas, point de salut, point d'excuses. Tel est pris qui croyait prendre.
À trop vouloir donner le change, notre infirmière perd de sa spontanéité. Elle se crée un personnage. Au cours de ma carrière, j'ai rencontré plusieurs infirmières parfaites. Je me suis toujours demandé ce qu'il y avait sous leur carapace : un être faillible très certainement mais sûrement plus intéressant parce qu'au fond, il n'y a rien de plus chiant que la perfection !