L'arc-en-ciel et la faille spatio-temporelle...

Publié le par La petite infirmière

L'arc-en-ciel et la faille spatio-temporelle...

Se rendre chez les gens, frapper et attendre qu’ils viennent nous ouvrir, c’est un peu comme jouer à la loterie. On ne sait jamais sur qui on va tomber. On arrive devant une maison, on sonne à la porte. Paré de notre plus beau sourire (celui à mille dollars que l’on réserve pour les grandes occasions, et une première rencontre, c’est une grande occasion !), on attend (avec une légère appréhension mêlée d’une pincée d’impatience) que l’on vienne ouvrir. Et là, tin nin, surprise !

On peut soit être accueilli à bras ouverts (fanfare, feux d’artifice et cotillons) ou au contraire avec une soupe à la grimace en guise de cadeau de bienvenue. C’est aussi cela le charme du libéral : une anti-routine où on peut passer d’une extrême à l’autre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Petit exemple concret pour bien se rendre compte de la « loterie du jour » :

Imaginons tout d’abord le scénario idéal :

Ding, dong…

-« Bonjour, bonjour, c’est la petite infirmière. »

-« Mais entrez donc, il fait mauvais, allons, allons, venez vite au chaud. Oh ma pauvre, il ne fait pas bon rester dehors. »

Cerise sur le gâteau, sur la table : l’ordonnance, la carte vitale et la carte de mutuelle bien alignées. Re-cerise sur le gâteau : tout le matériel à pansements bien rangé avec petit sac-poubelle bonus et serviette spéciale mimines de l’infirmière !

Je n’ai envie que de deux choses : demander à la p’tite dame si je peux rester toute la matinée chez elle et l’embrasser sur les deux joues pour la remercier.

 

Autre maison, autre ambiance :

Ding, dong…

- « Bonjour, bonjour, c’est la petite infirmière. »

-« Ah c’est vous ! Ben dis donc ça fait vingt bonnes minutes que je vous attends. J’aimerais bien le boire mon café ! 8h30, ce n’est pas 8 h. Vous croyez que je n’ai que ça à faire ! »

Pas de doute, cela met tout de suite dans l’ambiance. Heureusement, il en faut plus pour déstabiliser une petite infirmière motivée !

Je prépare donc tout le matériel pour le prélèvement sanguin, et m’apprête à piquer Miss grognonne.

-« J’espère que vous savez faire parce que j’aime pas cela du tout ! ».

Bon, ça continue. Pas de panique, on se concentre, on y croit. Bim, bam, en deux coups de cuillères à pot, les tubes sont remplis, le pansement est posé. Pas de « ouille, vous m’avez fait mal ! » à l’horizon. Elle n’est pas belle, la vie !

Évidemment, lorsque je dois poireauter dix minutes parce que la dame cherche sa carte vitale, la vie me semble nettement plus longue ! Je zyeute la pendule en ronchonnant mentalement.

Un bon quart d’heure plus tard, je quitte la maison, soulagée. Je respire un bon coup pour dégager les mauvaises vibrations et continue mon chemin. Que vais-je découvrir pour la suite de la tournée ? Mystère et boule de gomme !

 

C’est cela aussi que j’aime. Avoir l’impression de travailler dans une faille spatio-temporelle, dans laquelle chaque maison crée un nouveau monde. Un monde à échelle humaine. Un monde sans cesse transformé par le quotidien, l’histoire familiale mais aussi par le poids de la maladie. Un monde agréable ou au contraire hostile mais un monde en constante évolution. Et puis, parfois, derrière la mauvaise humeur, la froideur se cache une souffrance plus grande, ou tout simplement une grande timidité. Bien sûr, tout n’est pas tout beau, tout rose. Nous ne sommes pas au pays des bisounours. Certains ne changeront pas mais quand même, j’essaie de me dire en arrivant dans une maison où l’accueil glacial ressemble à un voyage en Sibérie, pourquoi les gens de cette maison sont comme cela ? Qu’est-ce qui s’est passé dans leur vie pour qu’ils réagissent ainsi ? La plupart du temps, je n’ai pas de réponse mais se poser la question permet de prendre du recul, de ne pas juger trop vite, de ne pas dire au premier regard, « eux, ce sont des chiants ! ». Et puis, si chaque être était semblable aux autres, on s’ennuierait ferme ! Au moins, en travaillant à domicile, on voit de tout et souvent, au détour d’un chemin, à l’entrée d’une maison, on passe par toutes les couleurs : du rouge vif d’agacement, au rose des joues lorsque l’on pique un fard en passant par le vert d’abattement lorsque rien ne va. Un arc-en-ciel de couleurs dans une faille spatio-temporelle, c’est aussi cela le libéral !

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