Des bijoux pour la Castafiore...

Publié le par La petite infirmière

Des bijoux pour la Castafiore...

Des bijoux, elle en porte tous les jours. Jamais, elle ne sort sans : des colliers brillants à son cou, des bracelets comme mille grelots à ses maigres poignets, de lourdes bagues à chacun de ses doigts déformés.
Chaque matin, elle se pare de tous ses bijoux pour se protéger du temps qui passe ; un bijou, puis deux puis trois qui la renvoient à un passé où elle était belle, où elle était jeune. Ses bijoux sont comme une bouée de sauvetage tentant tant bien que mal de retenir les souvenirs qui se noient. Elle oublie. Le scintillement des perles la guide dans le brouillard de son esprit. Qui est-elle ? Elle ne le sait pas. Où est-elle ? Elle ne s’en souvient plus. Lorsqu’elle accroche les colliers à son cou, elle se rappelle simplement que c’est le moment de sortir, c’est le moment où l’animatrice viendra la chercher pour l’emmener déjeuner. Ce sera le seul moment où sa vie monotone aura un sens : celui de voir du monde, celui de parader dans ses plus beaux bijoux pour montrer qu’elle est encore là, qu’elle n’est pas uniquement cette vieille dame démente qui laisse échapper à chacun de ses pas les bribes de sa vie.

Les colliers sont maintenant dépareillés, les bagues trop grandes pour ses frêles extrémités. Le maquillage autrefois impeccable lui donne un air grotesque. Les vêtements superposés les uns sur les autres sont le témoin direct de sa déchéance. Elle attend dans tout son attirail. Elle patiente des journées entières pour quelques minutes de gloire où elle défilera au milieu de ses semblables, où se parant de ses plus beaux bijoux elle sera à nouveau la coquette, celle qu’elle a été toute sa vie durant, celle sur qui les hommes se retournaient, celle que les femmes jalousaient, celle qui faisait tourner les têtes et les cœurs. Une reine aux bijoux. Des bijoux futiles, brillants, gros comme des cailloux qui ornent autre chose qu’un maigre cou. Des bijoux comme un dernier pied-de-nez à la tristesse, à la mémoire qui fout le camp et à la solitude d’une très vieille dame aux bijoux ...

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