Le départ de la p'tite dame...
Demain, la p'tite dame va partir. Elle ne déménage pas. Elle ne part pas au bord d’une plage paradisiaque pour quelques jours de vacances. Non, elle va se faire opérer. Le genre d’opération que l’on ne peut pas éviter, parce que là, il y a urgence ; le genre d’opération où l’on reste très longtemps allongé sur la table froide du bloc et dont l’issue est plus qu’incertaine. Tout cela, elle le sait mais elle y va quand même parce qu’elle n’a pas le choix, c’est ce qu’elle dit. Elle n’a pas peur, ni d’y aller, ni de mourir, c’est ce qu’elle dit. Parce que selon elle, elle a eu une longue vie, avec des hauts et des bas mais une vie bien remplie en tout cas. Je la regarde m’en raconter une partie, celle qu’elle préfère lorsque son mari était encore là.
Elle va partir et personne ne sait si elle reviendra, ni dans quelles conditions. À 90 ans, ça secoue une telle intervention. Les chances de guérison sont minces. Elle est au courant des « risques et tout ça » mais, elle a confiance en son chirurgien. « C’est un bon gars, et de toute façon, dit-elle, si je ne le fais pas, je n’ai aucune chance de voir le printemps ». Je sens tout de même qu’elle appréhende, pas vraiment pour elle mais plutôt pour ses enfants et petits-enfants qu’elle adore plus que tout.
J’ai, pour elle, une sorte d’admiration parce que prendre du recul par rapport à sa propre vie, ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air. À sa place, je serai morte de trouille. Une sacrée trouille pour ma famille mais aussi pour moi. Peut-être parce que je n’ai pas son âge et encore des tas de choses à voir.
La p'tite dame sait bien que sa vie arrive au bout alors pourquoi ne pas s’en aller pour de bon mais sans souffrir, c’est tout ce qu’elle demande. Mon cœur se serre. Elle va me manquer si elle ne revient pas. J’y penserai beaucoup au début, puis chaque fois que je passerai devant chez elle, puis de temps en temps mais toujours en souriant car c’est un personnage la petite dame. Je l’embrasse en m’en allant et croise les doigts discrètement derrière mon dos en sortant de chez elle. On ne sait jamais, avec un peu de chance, peut-être qu’elle reviendra…