Souvenir de service [1]
C’était, il y a longtemps, je me revois, jeune diplômée, arrivant dans un nouveau service.
Je me lève bien à l’avance pour ne pas arriver en retard. La boule au ventre, je ne peux rien avaler. Je me prépare comme un robot, car mon cerveau est déjà en marche vers ma nouvelle vie, partagé entre l’angoisse de l’inconnu et l’excitation de tout découvrir. Le trajet jusqu’à l’hôpital me semble durer des heures. Je sens le stress monter, les yeux rivés sur la pendule du tableau de bord. Les minutes défilent, l’heure fatidique approche à grands pas.
À la lingerie, on me donne une tenue provisoire, pas vraiment à ma taille car mes tenues ne sont pas prêtes. J’enfile mon « costume », ça y est, cette fois, plus moyen de revenir en arrière. Dans quelques minutes, le temps de traverser ces longs couloirs, je vais entrer dans le service comme un matador entre dans l’arène. Sauf, que là, point d’applaudissements. C’est le moment de la relève. Les yeux se lèvent sur moi. Un silence de plomb envahit la pièce. Je me présente en essayant d’être la plus décontract’ possible. Sauf, que, je suis tout sauf décontractée. Je sens bien que l’équipe de nuit, n’a qu’une envie : rentrer chez elle. Elles s’en tapent pas mal de la petite nouvelle. Après douze heures, c’est bien normal. Ce qu’elles veulent, c’est finir les transmissions et "tchao bye, bye".
Je m’installe dans un petit coin et essaie de suivre. Tous mes sens sont en éveil. Je regarde le tableau des hospitalisés. Je lis les noms pour la première fois, j’écoute et note scrupuleusement toutes les informations qui pourront m’aider à me repérer. Dans quelques heures, tous ces noms seront associés à des visages et malheureusement à des pathologies. Ma vision d’ensemble sera plus claire, je le sais. En attendant, mon cerveau bouillonne, j’essaie de rester concentrée du mieux que je peux. Je ne veux être un poids pour personne, alors plus vite je m’adapterai, mieux ce sera.
L’équipe de jour semble un peu plus disposée à m’accueillir, même si avoir une nouvelle collègue aujourd’hui alors que le service est plein à craquer ne semble pas les combler de joie. On m’explique vite fait, bien fait le déroulement de la matinée, la sectorisation, les rangements et c’est parti pour huit heures intensives en soins intensifs !
J’essaie tant bien que mal de me dépatouiller sans les harceler de questions. Les heures passent, je commence à prendre mes marques. Le service est bien organisé, c’est déjà un bon point. Les collègues ont l’air de se connaître depuis longtemps et l’ambiance semble détendue, ce qui est aussi un bon point.
La fin de service approche. Je me sens bien, même si mon cerveau tente à chaque instant de recracher le trop-plein d’informations ingurgitées durant cette matinée. Je tiens le coup. C’est l’heure de la relève. Je suis plutôt fière de moi car un premier jour, ça n’est jamais facile. Demain, est un autre jour et ce sera le deuxième. J’arriverai plus confiante. Je serai désormais en terrain connu. Le premier jour ne sera plus qu’un souvenir, un souvenir de service.