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Lorsque l’on travaille à domicile, que l’on pénètre dans les maisons, on s’introduit dans la vie des gens. On accède à leur intimité et, pour eux, ce n’est pas toujours simple. Il leur faut pour cinq minutes ou chaque jour pendant de longues semaines, accepter d’ouvrir les portes de ce qui est caché, de ce que l’on ne voit pas de l’autre côté de la rue.
Je me rends pour la première fois chez cette dame. Son regard dur, son visage figé ne m’invite guère à rentrer. Ses yeux perçants me dévisagent. Sans un mot, elle me fait signe d’entrer. Moi, j’ai sorti mon plus beau sourire, histoire de la mettre en confiance. Elle m’indique la cuisine, où ma collègue se rend pour lui faire ses pansements. Tout le matériel est installé sur la table. Sur la chaise, une serviette est posée pour étendre sa jambe. La pièce est plutôt bien rangée, une cuisine de campagne avec une grande table, une cuisinière à bois et un buffet où trônent des photos d’enfants.
-« Elle est pas là, l’infirmière qui vient d’habitude ? » me lance-t-elle d’un ton pincé.
Un frisson me parcourt le dos. Le ton est donné : glacial. On se croirait en Sibérie !
-« Non, elle est en vacances, c’est moi aujourd’hui mais ne vous inquiétez pas, elle m’a tout expliqué… »
Le soin se passe sans problème. Je m’applique, fais bien attention à ne rien oublier et suis scrupuleusement les indications données par ma collègue (histoire de ne pas la dérouter plus qu’elle ne l’est déjà !). Elle ne fait aucun commentaire sur le pansement et je repars avec pour seule parole, un au revoir distant.
La deuxième fois, la dame semble un peu plus détendue à mon arrivée. Je n’ai pas encore le droit à un sourire mais son visage est moins crispé. Je ne suis plus tout à fait une inconnue maintenant. La confiance n’est pas encore là mais rien de plus normal, on se connaît à peine. Pendant le soin, j’essaie d’entamer la conversation. La dame commence à se laisser aller et me parle. Elle m’explique comment elle est tombée et s’est faite cette vilaine plaie. Rien d’intime, mais c’est un bon début.
Au troisième passage, elle m’accueille par un « bonjour, mademoiselle ». Le ton se réchauffe peu à peu. Ce n’est pas la canicule mais le froid glacial de Sibérie a laissé place à un climat tempéré. Je sens qu’elle commence à s’habituer à moi. La discussion se fait plus personnelle. Elle me parle de son mari qui est parti depuis de longues années, de ses arrières-petits-enfants qui sont venus lui rendre visite. J’ai l’agréable sensation de pouvoir entrer dans sa vie.
Désormais, je ne suis plus une étrangère. Je ne sais pas encore si elle m’apprécie mais elle m’accepte en tout cas et c’est déjà un grand pas.
Certaines personnes ouvrent naturellement leur porte et leur cœur dès la première visite. Pour d’autres, cela se fait plus lentement. Il faut faire avec. Prendre le temps de se laisser apprivoiser et de les apprivoiser. Un peu, comme on recueille un oiseau blessé : on s’approche doucement pour ne pas lui faire peur. On caresse délicatement ses plumes puis on le prend au creux de ses mains. Tout doucement, étape par étape pour ne pas l’effrayer….